"If you can dream it, you can do it", m'avait dit en son temps une de mes amies. Cela fait des années que je rêvais de trouver une description ou un compte-rendu de ce à quoi ressemblait le stand des Tramways Bruxellois à l'exposition internationale et universelle de Bruxelles-Tervueren de 1897. Hé bien, à force d'en rêver, j'ai fini par trouver, dans le quotidien "Le Petit Bleu de l'Exposition Universelle" du 5 août 1897. Je vous laisse découvrir par vous-même ce magnifique texte, qui nous apprendra que la chevaline Morris que l'on voit sur la photo ci-dessous est bien jaune (et non verte, comme sa livrée foncée pourrait le laisser penser). On notera également que, selon ce texte, les anciennes voitures Morris ont été retirées du service dès 1879. Bonne lecture et bonne découverte!
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A Tervueren
La Galerie des Machines
L'immense
baraque en bois que l'on a construit à Tervueren pour abriter les
machines électriques, les locomotives, les wagons de chemins de fer et
les tramways tient plus que son extérieur ne promet. Nous pouvons
même déclarer hardiment qu'elle est excessivement intéressante. Non pas
tant par le nombre de moteurs ou de véhicules exposés, mais par leur
valeur.
Il y a là les locomotives du Nord et du Midi français, de
l'Etat belge, de plusieurs grandes usines de notre pays et de
l'étranger, qui sont le dernier mot du perfectionnement. Les machines
de l'Etat belge surtout, que nous décrirons en détail sous peu, sont
d'une irréprochable conception, et leur construction ne laisse rien à
désirer. Notons spécialement la mastodontesque locomotive de 100
tonnes, la plus lourde et le plus puissante qui soit sortie des ateliers
belges, et la machine nue des ateliers de l'Etat à Malines. Celle-ci
n'est pas encore recouverte de son enveloppe et les moindres détails de
sa structure restent apparents, ce qui du point de vue du métier,
présente un très grand intérêt.
Nous nous proposons de décrire sous peu ces deux merveilles de la mécanique moderne.
La
moitié de la salle des machines de Tervueren est occupée par de
puissantes machines à vapeur destinées à actionner les machines-dynamo
électriques fournissant la force motrice au monorail Behr. Dans un angle de la salle, nous trouvons l'installation très documentée de la Société des Tramways Bruxellois. Nous
y remarquons une collection de tous les rails employés par la Société
depuis 1869 jusqu'à présent. Que de modifications se sont succédées dans
cette partie depuis cette époque, où l'art du tram était encore dans
l'enfance, jusqu'à nos jours.
Voici d'abord le rail Morris, qui a été
utilisé de 1869 jusqu'en 1889. C'était une simple plate bande en fer à
peine gorgée et dont l'éclissage rudimentaire semble enfantin. C'est,
d'ailleurs, une sorte de joujou ce rail Morris, qui ne pèse que 21
kilos au mètre courant. Et bien qu'il soit très primitif, il est encore
employé sur les tabliers des ponts où passent les lignes à traction
animale.
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Rail Morris
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Le rail Demerbe, qui date de 1879, est plus lourd: 30
kilogrammes. Mais son éclissage à 12 clavettes, adopté en 1889, et qui
est par la forme même du rail imparfait, le met dans un état
d'infériorité marquant vis-à-vis de nos types de rails modernes. Le
rail Michelet, de même poids que le précédent, a été choisi en 1884. Il
est plus perfectionné déjà, mais néanmoins, il est inférieur au rail
Léon Janssen, actuellement en usage partout. La forme des rails a ainsi été profondément modifiée en quelques années. Un
fac-similé d'établissement d'une voie de tramways, telle que la dispose
la Compagnie bruxelloise, nous prouve que le plus grand soin est
apporté à la confection du ballastage et à l'exécution des pavages
avoisinants la voie. Le rail Janssen exige, pour que les pavés ne
tendent pas à s'enfoncer dans la cavité existant entre son champignon et
son patin, l'intercalation d'une brique de forme spéciale. Cette brique
maintient la pierre à distance de l'âme du rail et, par conséquent, il
n'y a pas à craindre de tassements irréguliers dans le pavement de la
rue.
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Rail Janssen |
On ne se doute pas des
soins qu'il y a à prendre dans l'établissement d'une voie de tramway.
Cette voie est soumise à tous les cahots et à tous les heurts. Elle est
établie en pleine rue, enfouie entre les pavés ou dans le macadam, et
elle doit être disposée de telle façon que ni l'un ni les autres ne
souffrent de sa présence. En ce qui concerne les aiguilles ou les
croisements, le problème s'aggrave de multiples obligations auxquelles
sont soumises les sociétés par les services de la voirie.
La
disposition des aiguilles surtout est presque toujours défectueuse,
parce qu'il est interdit de les manoeuvrer par des appareils, leviers ou
autres, qui en rendraient le mouvement commode et sûr. Bref, il
faut, lorsqu'on trace une voie de tramways, prendre toutes les
précautions spéciales résultant du va-et-vient continuel des piétons,
des voitures et des charrettes dans les artères parcourues. Il nous
semble que sous le rapport de la durée, comme au point de vue de la
rigidité, le rail Janssen est le plus perfectionné qui soit. Au reste,
il se passerait assurément de notre éloge, vu que plusieurs compagnies
belges et étrangères l'ont adopté.
Des
diagrammes et des plans nous montrent le développement du réseau depuis
1888 jusqu'en 1896. De 1888 à 1894, l’extension du réseau est minime.
Mais de 1894 à 1895, il grandit brusquement dans d'étonnantes
proportions. De 1895 à 1896, l'écart est encore plus accentué.
Croirait-on
qu'en 1888 la longueur du totale du réseau parcouru était de 79
kilomètres et qu'actuellement elle en atteint près de 119? Quant au nombre de voyageurs, il passe de 17.957 voyageurs par jour en 1888 à 30.760 actuellement. Chose
bizarre, en 1889, il y a eu moins de voyageurs qu'en 1888. Il est vrai
qu'au cours de cette année 1888 une exposition avait rendu exceptionnel
le déplacement des foules. Mais ce qui s'explique moins, c'est qu'en
1890 la diminution s'était encore accentuée. En 1891, le nombre de
voyageurs augmente un peu, mais n'atteint pas encore toutefois celui de
1888. Ce n'est qu'en 1892 que brusquement le niveau s'élève pour
atteindre en 1896 le chiffre énorme que nous avons cité plus haut.
Les
voitures de tramways, jadis incommodes et lentes, offrent aujourd'hui
au piéton tout le confort désirable et le transporte à destination
rapidement. La société des tramways a voulu que les visiteurs de la
Galerie des Machines de Tervueren puissent faire une comparaison entre
les véhicules qui secouaient nos pères et ceux qui nous transportent
moelleusement aujourd'hui. La compagnie expose donc en regard d'une
voiture toute neuve, du dernier modèle, une de ces vieilles guimbardes
comme beaucoup de Bruxellois ont gardé le souvenir et qui circulaient
sur la ligne Schaerbeek-Bois.
Ces veilles caisses, peintes en jaune,
percées de petites fenêtres ogivales, selon la forme mauresque, et
munies d'une impériale, n'ont été mise au rencart qu'en 1879. Elles nous venaient d'Angleterre et celle que la société expose a été livrée en 1869 par la maison Geo Starbuck de Birkenhead.
A
présent, nous ne sommes plus tributaires de l'étranger en ce qui
concerne cette industrie. Bien au contraire: c'est nous qui livrons au
monde entier le matériel des tramways.
Pauvre vieille patache, ce que
tu dois jalouser ta compagne d'Exposition, pimpante et gracieuse,
fraichement parée et courtisée par deux ravissants receveurs en
carton-pâte, vêtus de leurs plus beaux atours!
Citons, pour finir,
les rosaces où, habilement distribués, chatoient les nuances des
innombrables billets distribués par les conducteurs. Il y a en a de
toutes les formes et de toutes les couleurs. Nous comprenons qu'avec
de pareilles ressources, la compagnie ne lésine point et nous gratifie,
en guise de tickets, d'un demi-kilo de papier colorié à chaque voyage
que nous faisons sur ses lignes.