samedi 10 juin 2017

Des Modes et des Tramways, 1830-1890 ^^

Je vous propose un article en deux parties qui a pour but de contextualiser le développement des transports publics à Bruxelles, depuis l'indépendance de la Belgique jusqu'à la première guerre mondiale. Les thèmes abordés seront larges et variés: le commerce, les progrès en matière de protection sociale, la ville de Bruxelles qui s'agrandit sans cesse, les grands travaux lancés sous l'impulsion de Léopold II, mais aussi la structure de la population. Un accent particulier sera mis sur les femmes, parce que bien qu'elles représentaient une part non négligeable de la clientèle, elles sont les principales oubliées de la "grande histoire des transports". La première partie de l'article nous emmènera de 1830 à 1890 et la seconde partie sera consacrée à la Belle Epoque. Bonne découverte et bonne lecture ^^

Des Modes et des Tramways, 1830-1890

La Constitution belge, approuvée le 7 février 1831, proclame Bruxelles "Capitale de la Belgique et siège du Gouvernement". A cette époque, les diligences et les malles-poste assurent seules les communications entre Bruxelles et les autres villes du pays. A partir de 1835, grâce à l’action visionnaire du roi Léopold Ier et aux premières lignes de chemins de fer, les services de transport de voyageurs et de marchandises se multiplient entre la capitale et les villes les plus importantes du pays et de l’étranger. 

Vue du chemin de fer et de l'Allée Verte à Bruxelles

Les premiers services d’omnibus bruxellois sont organisés après l’inauguration de la ligne de chemin de fer Bruxelles-Malines, le 5 mai 1835. Avant l’ouverture de la gare de l’Allée Verte, située hors du centre-ville, les points de départ des diligences étaient nombreux et dispersés, car il n’y avait pas d’endroit "particulier" où convergeaient les voyageurs. Un mois après la mise en service de la gare de l’Allée Verte, une première ligne d’omnibus relie celle-ci au centre-ville (porte de Namur et place Royale). Il faut croire que cette ligne a rencontré un franc succès, puisqu’en 1840 il existe plusieurs lignes d’omnibus qui font correspondance avec le chemin de fer :
-    La Comète, La Bruxelloise, Le Progrès et Le Remorqueur, dont le point de départ se situe porte de Namur ;
-    les Dames Blanches, qui partent de la Porte de Hal ;
-    les Omnibus-diligences, qui ont leur point de départ à rue des Ursulines ;
-    le Lézard, qui part de la rue des Alexiens.

Les omnibus de la Porte de Namur circulent jusqu’en 1846, et les autres jusqu’en 1857-1858. La disparition de ces services coïncide avec l’établissement de plusieurs gares à Bruxelles. Il n’y avait, à nouveau, plus suffisamment de mouvement de voyageurs qui convergeaient vers un seul et même point. 

Cependant, entre la ville et les faubourgs, les moyens de communication font encore complètement défaut. Aller du centre d’Ixelles à Jette ou se rendre de Schaerbeek à Uccle, se révèlent être de véritables expéditions, surtout en hiver lorsque les routes et les sentiers sont recouverts de neige. Heureusement, ce genre de voyage n’est pas fréquent : l’agriculture permet à beaucoup de familles (hommes, femmes et enfants) de s’occuper au travail de la terre, tandis que les artisans travaillent généralement dans les petits ateliers ou les usines de la commune où ils habitent. La vie urbaine n’a encore qu’un rythme très lent et les habitants des faubourgs sont des campagnards habitués à une existence rude. L’espérance de vie à la naissance n’est d’ailleurs que de 45 ans en 1880. Il faudra attendre les années 1950 pour que l’espérance de vie à la naissance dépasse l’âge légal de la pension.

Un groupe d'ouvriers ou de paysans. Auteur, lieu et date inconnue.


Revenons dans nos faubourgs, et dans leurs épiceries. Ces petites boutiques sont les ancêtres des grands-magasins actuels. On y trouve de tout : denrées alimentaires, produits d’entretien, tissus, jouets pour les enfants, articles pour la maison, charbon,…


Dans chaque village, il y a des tailleurs et des couturières qui, sans s’inquiéter de la mode de Bruxelles (et encore moins de celle de Paris, qui est la capitale de la Mode de l’époque), parviennent à satisfaire leur clientèle peu exigeante, mais désireuse d’être servie à bon compte. Peu d’enfants des faubourgs fréquentent les écoles de la ville. Même dans la capitale, l’enseignement moyen est peu développé, et l’enseignement supérieur quasi-inexistant. Dans ces conditions, on comprend vite que personne ne songe à organiser des services réguliers de transport en commun entre les faubourgs et la capitale.


Pendant ce temps-là, en ville, dans le monde de la noblesse et de la bourgeoisie (le groupe social dominant, mais qui ne représente que 10% de la population de l’époque), le rôle de la femme est réduit à une existence domestique et à un rôle de représentation. La maîtresse de maison reçoit chez elle (un jour par semaine et dans sa plus belle robe) et organise des réceptions mondaines (déjeuners, dîners, soupers et bals). Pour le reste, vu que toute activité en dehors du foyer est contraire aux usages en vigueur, la maîtresse de maison occupe au mieux ses longues journées (et soirées - la télévision n’existe pas) par la lecture, la musique, les travaux d’aiguilles et les visites qu’elle rend à ses amies. Ses déplacements sont donc assez limités et réalisés dans la voiture familiale, conduite par son cocher (dans les familles très riches) ou par le valet de chambre de son mari (dans les familles plus modestement aisées).

La baronne Staffe (le pseudonyme utilisé par l’écrivaine Blanche Soyer - 1843-1911), dans son best-seller « Usages du monde : règles du savoir-vivre dans la société moderne »,  nous explique, de façon sommaire, comment une femme est supposée s’habiller lorsqu’elle sort de chez elle : « La toilette doit toujours être extrêmement correcte quand on sort dans la rue. Les femmes, même de rang modeste, doivent éviter de sortir en peignoir ou en pantoufles. Se promener nu-tête dans les rues d’une ville n’est pas de bonne tenue. Les messieurs peuvent, quant à eux, sortir sans chapeau. Mais s’ils en portent un, ils doivent se découvrir en présence d’une dame ».


Cependant « s’habiller de manière correcte » n’est pas suffisant aux yeux de la bourgeoisie. Les vêtements féminins vont devoir, en plus, remplir la fonction de « représentation » à laquelle la femme est tenue, fonction qui a pour but de mettre en avant le statut social de la personne. Autrement dit, bienvenue dans le monde passionnant des crinolines (1830-1865) et des tournures (1865-1890).

La crinoline est un sous-vêtement qui se compose de plusieurs jupons empilés les uns sur les autres afin de donner de l'ampleur (beaucoup d'ampleur) à la robe. Vers 1850, l'épaisse (et lourde) pile de jupons est remplacée par une cage circulaire, en roseau ou en fer, sur laquelle viennent se poser d'abord un jupon assez épais, puis la robe en elle-même. Le but de la crinoline est de mettre en valeur la taille de la femme, en créant un effet d'optique qui "épaissit" la silhouette au niveau des hanches.

Jeune femme portant une robe à crinoline


En 1865, Charles Worth, grand couturier français d'origine anglaise, va "inventer" la tournure. Il s’agit d’une demi-cage de fer qui poursuit le même but que la crinoline (mettre en valeur la taille des femmes par un effet d'optique), mais ici la masse n'est pas répartie de manière circulaire, mais se retrouve entièrement portée sur l'arrière. Les robes se chargent d’ornements textiles, et la production est facilitée par l’essor de la machine à coudre.

Le succès de la tournure est immédiat, et entraine, de facto, la disparition de la crinoline.

Les robes à tournures font la une du magazine féminin "La Mode Illustrée" du 18 mai 1884


La tournure est moins contraignante à porter que la crinoline, car son poids est moins lourd. Cependant, cette demi-cage de fer entrave les femmes dans leurs mouvements. Et surtout, elle les empêche de s'asseoir. On imagine alors des tournures rétractables, que l’on peut replier en actionnant un mécanisme : le strapontin.

Peu à peu, le volume de la tournure va se réduite, pour finir, fin des années 1880, à ne plus faire qu'une pièce avec le corset. Le corset a lui aussi pour but de mettre en avant la taille des femmes, mais plus en "créant de la masse" autour de la taille: cette fois, c'est le corps des femmes qui va se retrouver malmené, comprimé, sculpté, par un sous-vêtement à structure métallique.

Environs 20 années séparent ces deux portraits de femmes. On notera le col jabot du chemisier de
madame Bérand (à gauche) et la taille fine mise en valeur par un corset de la jeune femme de droite.


Parallèlement à la mode, qui change d’année en année, la ville « évolue » elle aussi. Bruxelles devient un centre d’affaire très actif : les établissements industriels de premier ordre s’y multiplient, les premiers « grands-magasins » s’y installent et le rôle intellectuel, artistique, politique et financier de la capitale ne cesse de s’accroître. Les Bruxellois et les habitants des faubourgs se déplacent fréquemment, pour les affaires, leurs études et leurs distractions. La nécessité de créer de nouveaux quartiers pour loger la population qui y était attirée et le souci d’embellir la ville en créant des voies de communication indispensables, va mener à la construction, notamment, de la rue Royale en 1828, de la rue de la Loi en 1853, de l’avenue Louise en 1864, du boulevard Léopold II en 1891, du boulevard Général Jacques en 1895, de l’avenue Tervueren en 1897, des boulevard Brand Withlock et Auguste Reyers en 1906 et du boulevard Lambermont en 1914.


Dès la seconde moitié du 19ème siècle, l’influence et l’attraction de la capitale se fait sentir bien au-delà des faubourgs. La population de plus en plus nombreuse qui vient chaque jour en ville doit avoir à sa disposition de bons moyens de transports. Là où en 1830 les diligences pouvaient suffire, il fallait maintenant des services de transport en commun intensif et un matériel perfectionné et confortable afin de satisfaire une clientèle aisée, fortement influencée par le luxe de la vie urbaine. Cependant, malgré le développement de l’agglomération bruxelloise, les moyens de transport urbain restent rares et rudimentaires jusqu’en 1870.

Faute d’omnibus ou de tramways, beaucoup d’habitants des communes de l’agglomération prennent le train pour aller en ville. En 1880, les chemins de fer délivrent ainsi plus de 5 millions de billets dans les gares bruxelloises et un million dans les gares de banlieue.

Tout comme le chemin de fer, les lignes vicinales assurent le transport des voyageurs et des marchandises. La première ligne est créée en 1887 et relie Bruxelles à Schepdael, région réputée pour ses cultures maraîchères. Les cultivateurs sont autorisés à prendre leurs fruits, légumes et leurs œufs avec eux en voiture, afin de leur faciliter l’accès aux marchés bruxellois. Cette autorisation, combinée à un horaire qui prévoit le premier départ de Schepdael à 2h du matin, permet aux maraîchers de livrer leurs légumes au marché matinal et de revenir passer le reste de leur journée de travail sur leurs terres agricoles.

La Société nationale des chemins de fer vicinaux va ainsi relier la capitale aux campagnes les plus éloignées de l’arrondissement de Bruxelles, notamment : Schepdael et Enghien (1887), Haecht (1888), Humbeek (1889) et Rhode-Saint-Genèse (la Petite Espinette - 1891).

Le tram vicinal Bruxelles-Haecht, date et auteur inconnus

L’essor de l’industrie et du commerce exigent des services de transports en commun nouveaux et rapides. Cependant, le relief du sol bruxellois constitue un sérieux obstacle à une exploitation économique et intensive des moyens de transport ordinaires que sont les omnibus et les tramways hippomobiles. En effet, l’entretien des chevaux est fort onéreux et bon nombre de côtes doivent être franchies en attelant des chevaux de renfort.

En 1882, la Société Anonyme des Tramways Bruxellois dispose d’un réseau de près de 50 kilomètres de voies ferrées, en grande partie à voie double. Ce réseau comprend les lignes suivantes :
- la ligne Schaerbeek-Bois,
- la ligne Place Liedts-Saint Gilles,
- la ligne Laeken – Anderlecht, par la chaussée d’Anvers
- la ligne Laeken – Gare du Midi, par les boulevards du Centre
- la ligne Impasse du Parc – Rond-Point de la rue de la Loi
- la ligne Parc Léopold – Place Royale
- la ligne des Boulevards Circulaires
- et la ligne Uccle-Place Royale


La Société Anonyme des Tramways Bruxellois ne construit aucune nouvelle ligne entre 1882 et 1892, même si elle sollicite, dans le même temps, de nouvelles concessions ou apporte certaines extensions à son réseau primitif. Il faut dire que la première priorité des Tramways Bruxellois est de faire régulariser leurs concessions, ce qu’ils obtiendront avec le cahier des charges relatif à l'entreprise de l'achèvement, de l'entretien et de l'exploitation d'un réseau de tramways dans l'agglomération bruxelloise du 26 avril 1899.



La première partie de notre voyage dans le temps s'arrête ici. Vous découvrirez la seconde partie de cet article, qui sera consacrée aux années 1890 à 1914, dans un prochain billet.

Bon weekend et à bientôt,

Callisto

2 commentaires:

  1. Excellent document. Fort intéressant. Merci M. ou Mme Callisto !

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    1. Merci pour le feed-back positif ^^
      PS => https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Calisto

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